Le Maître et Marguerite

Publié le 19 Août 2014

C’était à Moscou au déclin d’une journée printanière particulièrement chaude. Deux citoyens firent leur apparition sur la promenade de l’étang du Patriarche. Le premier, vêtu d’un léger costume d’été gris clair, était de petite taille, replet, chauve, et le visage soigneusement rasé s’ornait d’une paire de lunettes de dimensions prodigieuses, à monture d’écaille noire. Quant à son chapeau, de qualité fort convenable, il le tenait froissé dans sa main comme un de ces beignets qu’on achète au coin des rues. Son compagnon, un jeune homme de forte carrure dont les cheveux roux s’échappaient en broussaille d’une casquette à carreaux négligemment rejetée sur la nuque, portait une chemise de cow-boy, un pantalon blanc fripé et des espadrilles noires.

Le premier n’était autre que Mikhaïl Alexandrovitch Berlioz, rédacteur en chef d’une épaisse revue littéraire et président de l’une des plus considérables associations littéraires de Moscou, appelée en abrégé Massolit. Quant au jeune homme, c’était le poète Ivan Nikolaïevitch Ponyriev, plus connu sous le pseudonyme de Biezdomny.

Ayant gagné les ombrages de tilleuls à peine verdissants, les deux écrivains eurent pour premier soin de se précipiter vers une baraque peinturlurée dont le fronton portait l’inscription : « Bière, Eaux minérales. »

C’est ici qu’il convient de noter la première étrangeté de cette terrible soirée de mai. Non seulement autour de la baraque, mais tout au long de l’allée parallèle à la rue Malaïa Bronnaïa, il n’y avait absolument personne. À une heure où, semble-t-il, l’air des rues de Moscou surchauffées était devenu irrespirable, où, quelque part au-delà de la ceinture Sadovaïa, le soleil s’enfonçait dans une brume de fournaise, personne ne se promenait sous les tilleuls, personne n’était venu s’asseoir sur les bancs. L’allée était déserte.

– Donnez-moi de l’eau de Narzan, demanda Berlioz à la tenancière du kiosque.

Le Maître et Marguerite

Rédigé par Boulgakov

Publié dans #Littérature

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